Le parcours d’André Annosse est riche. De la presse écrite aux grands reportages télé, cet accro de l’histoire et des médias nous raconte ses souvenirs de tournages et nous parle de son métier avec passion.
Quel est ton parcours ?
Gamin, j’étais absolument fan de Paris Match. C’était d’ailleurs la référence du moment. Les grands reportages, les grands photographes. À 12-13 ans j’ai eu un choc quand Jean-Pierre Pedrazzini est mort en faisant son reportage pendant les évènements du coup de Budapest. Cela m’a marqué et j’ai alors décidé de devenir reporter.
Quel est ton cursus ?
J’ai fait des études d’économie et de photographie, mais j’ai toujours eu la
volonté de rentrer dans la presse écrite. Durant l’été 69, il m’a été possible de faire un stage à Paris Match, le rêve pour moi. Il faut bien comprendre qu’à cette époque il y avait ce qu’on appelle “les grandes signatures” de la presse comme Raymond Cartier, Raymond Tournoux etc. Ils étaient des exemples. Ce journal était LA référence en Europe. Je faisais quelques photos et j’étais au service de nuit au pôle information. J’étais “la vigie”, c’est-à-dire que nous regardions les news de l’AFP et des grandes agences, nous écoutions la radio et alertions le chef de service dès que quelque chose d’intéressant tombait ! Je me suis rendu compte rapidement que la photo ne suffisait pas et je me suis mis à écrire des enquêtes. Je suis resté 3-4 ans à Paris Match.
À quel moment t’es tu intéressé à l’audiovisuel ?
Malgré l’émergence d’un nouveau type de magazines venus des États Unis, les “news magazines”, tel que l’Express en France, je me suis rendu compte qu’il fallait aller vers l’audiovisuel. Il n’y avait qu’une chaîne : TF1. J’ai réalisé alors des enquêtes et un documentaire pour La France Défigurée dont le thème est la pollution en Méditerranée, sujet qui fait notre quotidien aujourd’hui. D’ailleurs, à l’époque, la situation était catastrophique du côté français et italien. À partir de ce moment-là, se sont enchaînées pour moi beaucoup de réalisations de documentaires. J’ai travaillé notamment pour Roger Stéphane, Compagnon de la Libération, essayiste qui avait créé l’AFI, une société de production. Pour France 3, en pleine crise de l’énergie 1973/74, j’ai réalisé deux docs de 52 minutes sur les énergies fossiles et l’électronucléaire. Venant de la presse écrite, j’ai vraiment dû apprendre un nouveau métier, et c’était très excitant.
Comment s’organisait ton travail ?
Nous tournions avec des caméras 16 mm et le son était enregistré sur un
Nagra. C’est lourd pour les séquences en mouvement. La pellicule n’était pas très sensible, il fallait faire des éclairages très intenses, balader des caisses énormes, etc. mais c’était une bonne école. Il fallait tourner à l’économie, les bobines ne duraient que 10 minutes. Et l’on ne savait vraiment si il y avait des images sur la pellicule qu’après le développement : angoisse ! Les caméramen étaient souvent formés sur le tas. Il faut savoir qu’à l’époque, ce qui sortait de la caméra c’était de la pellicule inversible. Nous passions de la pellicule aux tables de montage directement. En plus de cela, nous avions 4 à 6 bandes-sons. Nous montions beaucoup de nos
films à l’Agence d’Image dans le quartier de l’Étoile dans le 8e arrondissement. Roger Stéphane, fondateur de l’AFI, avait une grande culture et produisait des films très originaux. Il fallait être discipliné. Nous n’avions pas le droit à l’erreur et avions beaucoup plus de contraintes techniques qu’aujourd’hui. J’ai aussi travaillé pour les derniers journaux de la presse filmée, Pathé et Gaumont. Nous tournions en 35 mn : quel luxe! Quelques magnifiques images ont été projetées sur les grands écrans dans les salles avec des plans tournés au téléobjectif. J’avais un excellent opérateur, après nous avons travaillé ensemble pendant 10 ans : Donato Bottiglione . On pouvait reconnaître ses images par leur qualité. Par exemple, lorsque je pars en Mer du Nord pour un documentaire, le cadreur avait 20 kg minimum de caméra sur l’épaule et parfois il la portait avec un harnais. Le rédacteur en chef « nous rappelait qu’il fallait ramener quelque chose dans n’importe quelle situation ». Les tournages étaient onéreux, les équipes étaient formées de quatre personnes. Je choisissais toujours les mêmes, des gars sympas et compétents. Lorsque c’est dangereux et tendu, c’est important d’avoir de la cohésion dans l’équipe.
Tu as toujours fait du documentaire plutôt historique et technologique ?
Auparavant, j’ai réalisé des sujets pour les tout premiers numéros de
l’émission d’Auto-Moto qui est devenue la plus ancienne du paf. Il y a 2 ans, j’ai réalisé un sujet sur « l’aventure Simca ». 44 ans après mon premier
tournage, c’est situation exceptionnelle ! À un moment de ma vie, j’avais besoin de quelque chose de plus vivant. J’ai rencontré Jean-Pierre Hutin avec qui je m’entendais bien et j’ai commencé à collaborer pour 30 millions d’amis. C’était top ! Je me suis retrouvé à sillonner la France pendant 3-4 ans, le bonheur. Je regardais la carte et je choisissais des sujets aussi pour la beauté des régions encore très authentiques. J’adore tous les animaux. J’ai rencontré des personnes qui aimaient leurs compagnons
comme des membres de leur famille. J’ai réalisé des grandes enquêtes sur la
vivisection puis sur le trafic des chiens. Je pense que rien n’a changé, malgré le blabla bienvaillant des politiques qui changent de ministère sans rien avoir réalisé, c’est scandaleux. Jean-Pierre n’était pas commode, mais c’était un patron carré et fidèle.
Tu es resté dans ce créneau à ce moment là ?
Non pas spécialement. Dans les années 90, j’ai également commencé à travailler pour le magazine Horizon des Armées qui était diffusé sur France 3. C’était très intéressant, je faisais découvrir les militaires, les nouvelles technologies, les armes, la force de frappe, la France possède une armée très moderne. Entre temps, la révolution numérique se met en marche et nous nous sommes retrouvés à tourner en format UMATIC. Le matériel était peu pratique, le caméraman et le preneur de son, étaient reliés au magnéto par un câble, et le réalisateur portait cette machine, un monstre de 20 kg. Il fallait lancer un pré-roll de 5 secondes avant de tourner ! Un matériel idéal, lorsque l’on se retrouve au milieu de grandes manœuvres, ou en prises de vues, à bord d’un hélicoptère. J’ai tourné aussi beaucoup de sujets pour le magazine de France 2 : Gigas, dont trois 13 minutes sur le Japon . Les Japonais sont très rigoureux et professionnels. Ce sont des fous du travail. Un jour à Tokyo, il y a eu un orage et la voiture était loin, l’assistant japonais a mis sa veste sur la caméra pour la protéger, lui, est resté debout, stoïque. Ensuite, je rentre chez Caméras Continentales aux côtés de Jean-Pierre Cottet, un grand charmeur, c’est là que j’ai fait la rencontre de Takis Candilis (aujourd’hui Directeur général chargé de l’antenne et des programmes de France Télévisions). Nous avons proposé une série de 6 x 52 minutes à TF1. C’était une série sur les Grands Destins du 20e Siècle : Mao, Churchill, Roosevelt, Staline, Ho Chi Minh, Castro. Nous faisons appel à des
auteurs de référence, tels Jean Lacouture ou le grand historien Robert Franck… J’étais producteur exécutif et parfois réalisateur de ces documentaires. Mais ce qui me plaisait par-dessus tout, c’était de partir à la recherche des archives de par le monde pour ces films, dans les pays d’origines, là, on trouve des merveilles. Nous avons été primés au festival du film documentaire d’Histoire de Rueil-Malmaison en 1996 avec cette série.
C’était novateur une série doc pour cette période ?
Oui. C’était rare que TF1 se lance dans une série documentaire historique qui a rencontré beaucoup de succès. Pour concurrencer Canal Plus, TF1 crée un bouquet de chaînes numériques appelé TPS. TF1 avait dans le cahier des charges l’obligation de réaliser une chaîne de documentaires. Patrick Le Lay (Président-directeur général de TF1 de 1988 à 2008), après le succès de ma série consacrée aux grands destins du XX siècle, me propose de développer le projet qui deviendra Odyssée. J’ai imaginé une belle chaîne généraliste rubriquée et, au bout de 6 mois, le CSA valide le projet. Gérard Carreyrou devient le président et moi directeur des programmes, responsable des achats. Avec Gérard Carreyrou nous sommes devenus très amis et en 2007, nous avons participé à la réalisation d’un documentaire pour France 3 intitulé, l’énigme René Bousquet, etc.
De quel film es-tu le plus fier ?
Deux films m’ont particulièrement marqué. Un film sur les Justes de France,
pendant l’occupation dont je suis très fier. C’était un film compliqué à faire, car il y a beaucoup de pudeur sur ce thème. Certains Français ont été exemplaires au péril de leurs vies. Le second film, c’est celui qui m’a été inspiré lors du tournage sur le lanceur Ariane. Je suis parti en Guyane et j’ai découvert cette forêt majestueuse. Je suis revenu avec l’idée de faire un doc sur la biodiversité de la forêt amazonienne que l’on brûle maintenant ou qui est détruite par les orpailleurs : L’or vert de la Guyane. C’était en 2000, il y avait peu d’intérêt pour ces thèmes à l’époque !
Qu’est ce qui te plaît le plus dans ton travail ?
Les rencontres et les histoires sont mes deux passions. J’aime rencontrer des gens, raconter une histoire inédite puis chercher les archives. J’essaye d’être au plus près de l’évènement historique et d’apporter de l’inédit ou rappeler des évènements oubliés . Je trouve que les chaînes ne sont pas assez attirées par l’innovation scientifique, les grands bouleversements mondiaux, la découverte de pays continent comme l’Inde, etc.
L’histoire est vraiment le sujet qui te passionne le plus, n’est ce pas ?
Oui, je m’intéresse à la Seconde Guerre mondiale, il y a encore beaucoup d’évènements à découvrir. La chaîne RMC Découverte avec laquelle je collabore est très innovante dans ce domaine. Mais je voudrais réaliser un documentaire sur la guerre de 1870 qui est à la source des deux guerres mondiales pour la France. Évoquer la science et ses évolutions est aussi une grande source d’intérêt pour moi. Je pense que les pôles d’excellence dans le monde préparent la vie de demain et que l’écologie doit être à chaque étape de notre vie. Cela mériterait de grandes séries.
Qu’aurais-tu fais si tu n’avais pas été producteur de documentaires ?
J’aurais voulu être industriel, créer des machines et partir à la conquête de
marchés de par le monde. J’aurais dû prendre le virage du numérique. Les
Américains et les Chinois ont su développer l’informatique, internet, le
numérique et le E-commence, L’Europe n’a pas bougé. Nous sommes
dramatiquement dépendant. Il fallait anticiper les industries de l’avenir très tôt.
Quelles sont les qualités nécessaires dans ton métier ?
Je lis beaucoup les journaux et m’intéresse à tous les sujets d’actualité. Un
réalisateur doit être dans l’actualité et la suivre. Il faut savoir se nourrir de toutes les sources d’information au quotidien : la radio, la presse, la télé, les voyages, les rencontres, etc. Un bon réalisateur de documentaires est un artisan qui doit être curieux apporter des idées originales. Il sait mettre en valeur et réunir autour de lui des équipes compétentes qui sauront faire un bon film. Il faut évoluer en utilisant l’expression de nouvelles technologies, comme l’emploi des caméras Gopro ou les animations 3 D. Un bon film doit apporter du nouveau.
Qu’est ce que tu regardes à la télé ?
Je regarde, Arte, LCP et RMC Découverte, principalement. Je regarde les documentaires aussi évidemment sur d’autres chaines notamment sur la NHK japonaise.
À quel moment t’installes-tu à Atlantis Télévision ?
J’ai rencontré Frédéric Houzelle en 1988 qui me propose de
produire des documentaires et des films institutionnels dans son entreprise. Après un break je reviens en 2007. Nous sommes en confiance et j’ai réalisé 10 documentaires avec lui. Il me laisse une paix royale, c’est très appréciable. Nous avons notamment produit un documentaire sur la fascination des femmes pour Hitler, qui s’est vendu dans 50 pays, un autre sur Eva Braun ou encore un sur Soyouz par exemple. Par ailleurs il est actuellement (en 2020) sélectionné par l’école Sciences Po de Paris pour une diffusion dans le cadre d’un festival sur l’Histoire et les femmes. Frédéric Houzelle a créé en dix ans un très beau groupe intégré. Chez Atlantis, ce qui est agréable c’est l’atmosphère décontractée. La société rassemble des collaborateurs très compétents, ce qui permet de travailler dans de bonnes conditions, tout en rencontrant énormément de personnes intéressantes.